Les études scientifiques portant sur le rôle prépondérant de la barrière intestinale et de son intégrité sur la santé et la maladie sont de plus en plus nombreuses aujourd’hui. Mais de quoi s’agit-il exactement ? Que recouvrent les termes de barrière intestinale, d’hyper-perméabilité ou de porosité intestinale que l’on entend de plus en plus souvent. Et quelles en sont les conséquences avérées sur la santé ?
Commençons par les protagonistes de l’histoire…
Un trio indissociable : la muqueuse, le microbiote et le système immunitaire
La muqueuse intestinale
La barrière ou muqueuse intestinale représente une surface d’environ 600 m2. Là où la peau représente 2 m2 et les alvéoles pulmonaires environ 70 m2 ! Tandis que l’entretien de cette muqueuse nécessite pas moins de 40% de la dépense énergétique de l’organisme.
La barrière intestinale :
- évite les pertes d’eau et d’électrolytes,
- s’oppose aux entrées de substances étrangères et de microorganismes dans le corps,
- tout en permettant les échanges de molécules entre l’organisme et l’environnement
- et l’absorption des nutriments provenant du régime alimentaire.
Ainsi, d’un côté, une barrière intestinale intacte protège l’organisme humain contre l’invasion de microorganismes et de toxines, et de l’autre, cette barrière doit être perméable pour absorber les liquides et nutriments essentiels.
De tels buts apparemment opposés sont permis par sa structure anatomique et fonctionnelle complexe. Elle consiste en effet en éléments :
- mécaniques (mucus, épithélium),
- humoraux (molécules chimiques de défense telles que les défensines et les immunoglobulines A),
- immunologiques (cellules immunitaires),
- musculaires
- et neurologiques.
De plus, cette barrière représente une surface immense, où des milliards de bactéries côtoient la plus grande part de notre système immunitaire.
Le microbiote intestinal
Des espèces…
Le tractus intestinal présente en effet la plus grande communauté bactérienne du corps humain. Il atteint ainsi des densités de 1012 bactéries par gramme dans le colon. Deux grands phylums, Bacteroidetes et Firmicutes, dominent le microbiote des humains. Et bien que leur abondance dans les échantillons fécaux reste relativement constante chez les sujets sains, de nombreuses études ont montré une variabilité inter- et intra-personnelle considérable. Auparavant, on estimait que le microbiote intestinal était composé de 500 à 1 000 espèces de microbes. Mais une étude récente à grande échelle a estimé que la microflore de l’intestin humain collectif est composé de plus de 35.000 espèces bactériennes.
La prédominance de certaines espèces clé de voute détermine l’entérotype (association préférée d’espèces). L’entérotype semble indépendant des caractéristiques de l’hôte telles que l’indice de masse corporel, l’âge ou le genre. En revanche, il est influencé par le régime alimentaire, les prédispositions génétiques et l’utilisation des antibiotiques.
… aux rôles fondamentaux pour notre santé !
Cette communauté bactérienne assure des rôles décisifs :
- défense de l’hôte contre les pathogènes et toxines,
- développement et entretien du système immunitaire intestinal,
- aide à la digestion,
- production de vitamines et d’hormones.
La barrière intestinale doit donc assurer une coexistence pacifique avec le microbiote, sans entrainer d’inflammation chronique. Autrement dit, elle doit permettre une inflammation mesurée et une réponse défensive à la menace de pathogènes. C’est un système complexe multicouche, consistant en une barrière « physique » externe et une barrière immunologique « fonctionnelle » interne. L’interaction de ces deux barrières permet le maintien d’une perméabilité équilibrée.
Organisées structurellement
Ces fonctions sont préservées par un certain nombre de caractéristiques structurelles, dont une couche de mucus et une monocouche de cellules épithéliales.
Constitué d’une seule couche de cellules, l’épithélium intestinal sépare le contenu de l’intestin du tissu conjonctif sous-jacent et du milieu intérieur. Cet épithélium est renouvelé tous les 3 à 5 jours chez l’homme en raison :
- de l’apoptose (mort cellulaire physiologique, normale et programmée,
- de l’exfoliation des entérocytes matures (cellules intestinales)
- et de leur remplacement par la prolifération des cellules souches.
Le taux élevé de rotation des cellules épithéliales sert aussi de mécanisme de protection pour éliminer les cellules infectées ou endommagées.
Les cellules épithéliales sont interconnectées par des jonctions serrées. Ces dernières sont des structures protéiques complexes transmembranaires. Elles forment ainsi un lien mécanique entre les cellules épithéliales juxtaposées. Ces jonctions serrées permettent donc deux rôles apparemment contradictoires :
- elles s’opposent au passage de grosses molécules entre les cellules,
- tout en permettant la diffusion sélective d’ions, d’eau et de petits composés.
La perméabilité de l’épithélium, c’est-à-dire la capacité des molécules à le traverser, varie le long du tractus intestinal. Or la composition et l’abondance des différentes composantes des jonctions serrées détermine cette perméabilité.
Porosité intestinale : quand les jonctions serrées ne sont plus serrées…
Afin d’assurer le bon fonctionnement des intestins, il est fondamental d’éviter des réactions inflammatoires visant le microbiote. La barrière intestinale est donc régulée finement par un réseau de mécanismes immunitaires de reconnaissance et de tolérance du microbiote. L’échec de cet équilibre entre l’hôte et le microbiote a des conséquences négatives pour la santé intestinale et celle du corps entier.
De même, des déséquilibres du microbiote intestinal (que l’on appelle dysbiose) peuvent entrainer le dysfonctionnement de la barrière intestinale. Dysfonctionnement qui peut mener à des troubles intestinaux et extra-intestinaux.
c’est la voie ouverte à de nombreuses maladies
Ainsi, plusieurs maladies ont été reliées à des changements de populations microbiennes ou à la réduction de la diversité microbienne. C’est le cas notamment :
- des maladies atopiques,
- de la maladie du côlon enflammé (ou côlon irritable),
- du diabète et de l’obésité,
- des 1ers stades du cancer du colon
- et des neuropathologies.
Bien sûr, comme très souvent, ces pathologies sont multifactorielles. Elles ne résultent pas uniquement de ces problématiques digestives. Cependant, certaines de ces maladies sont associées à une altération de la fonction de barrière de la muqueuse intestinale. Il en résulte une augmentation de la perméabilité épithéliale par relâchement des jonctions serrées. C’est la porosité intestinale.
Une augmentation de la perméabilité intestinale (on parle alors de porosité intestinale ou d’hyper-perméabilité, de « leaky gut syndrome » en anglais) permet le passage de bactéries et de toxines bactériennes dans le flux sanguin. Dès lors, ces éléments étrangers entrainent des réactions inflammatoires dans le foie, le tissu adipeux, le cerveau et d’autres organes impliqués dans les maladies métaboliques telles que la résistance à l’insuline. Cette cascade patho-physiologique est largement considérée comme un facteur de premier plan dans nombre de maladies. C’est le cas notamment dans le développement des maladies métaboliques, dont le diabète de type II, les maladies cardiovasculaires ou la stéatose hépatique non alcoolique.
La porosité intestinale peut même expliquer les inflammations chroniques de bas grade observées dans les troubles neurologiques tels que la dépression.
Une porosité intestinale sous influence…
Du stress
Le stress peut aussi fortement altérer l’intégrité de la barrière intestinale et favoriser la porosité intestinale. Il le fait indirectement, via la sécrétion d’adrénaline et la modification du fonctionnement du système immunitaire. De plus, il semble aujourd’hui que ce soit le microbiote qui module l’ensemble de ces interactions.
De l’alimentation
Deux facteurs majeurs interviennent finalement dans la régulation de la barrière intestinale :
- l’alimentation, les nutriments et les prébiotiques
- le microbiote intestinal et les probiotiques
Les prébiotiques représentent une source sélective de nourriture pour les bonnes bactéries. Concrètement, ce sont des sucres comme la cellulose, le lactose, des galacto-oligosaccharides, et surtout l’inuline. Ces sucres sont digestibles (on utilise souvent le terme de fermentescibles). Mais ils résistent suffisamment à leur passage dans l’estomac et l’intestin grêle pour arriver jusqu’au gros intestin, où se trouvent la grande majorité des bactéries.
Les probiotiques sont des micro-organismes vivants et bénéfiques pour notre organisme. On peut les apporter à l’aide de compléments alimentaires de manière à réensemencer le microbiote avec de « bonnes bactéries ».
Les deux facteurs majeurs cités ci-dessus sont liés à notre style de vie. Les facteurs environnementaux influencent en effet grandement le fonctionnement de la barrière intestinale et la santé de notre intestin.
et donc de nos choix !
Le régime alimentaire, la composition du microbiote intestinal et la santé sont intrinsèquement liés.
Par exemple, une alimentation essentiellement composée de fast-food et d’aliments transformés a été associée à une porosité intestinale et des symptômes dépressifs. Inversement, les régimes riches en légumes, fruits et poissons sont associés à une meilleure santé nerveuse.
La nutrition et les interactions microbe/intestin ont donc un effet substantiel et cliniquement pertinent sur le développement du système immunitaire et la fonction de barrière intestinale. Les conséquences ne sont pas neutres et concernent la résistance aux agents pathogènes, le développement de l’inflammation intestinale, ou les douleurs abdominales.
Finalement, la modulation de la perméabilité intestinale, via la nutrition, la micronutrition, la complémentation et l’hygiène de vie en général, est un objectif très pertinent dès lors que l’on cherche à prévenir ou à traiter une série de maladies qui ont toutes augmenté de façon spectaculaire au cours des cinq dernières décennies.
Merci d’être arrivé au bout de cet article qui je l’espère vous aura intéressé. Si je n’ai pas répondu à toutes vos questions quant à cette fameuse porosité intestinale, n’hésitez pas à les poser en commentaire. J’y répondrai directement ou j’en ferai un prochain article !
Et n’hésitez pas à partager bien sûr !
Sources :
- Bischoff et al. Intestinal permeability – a new target for disease prevention and therapy. BMC Gastroenterology. 14 :189.
- Kelly et al. Breaking down the barriers : the gut microbiome, intestinal permeability and stress-related psychiatric disorders. Front. Cell. Neurosci. 9 :392.
- Wells et al. Homeostasis of the gut barrier and potential biomarkers. Am. J. Gastrointest. Liver Physiol. 312 :G171-G193.
- König J. et al. Human intestinal barrier function in health and disease. Clinical and Translational Gastroenterology. 7, e196; doi:10.1038/ctg.2016.54.
Merci pour ces explications scientifiques étayées mais toujours claires pour le béotien ! On comprend mieux les mécanismes et les réactions en chaîne qui peuvent entraîner inflammations et douleurs mal prises en compte. Moralité : quand on soigne un symptôme sans remonter à la cause, c’est normal si les traitements inadaptés ne marchent pas !