L’insomnie est un trouble du sommeil très répandu : un tiers des adultes décrit des problèmes subjectifs pour s’endormir, rester endormi ou parce qu’ils se réveillent trop tôt. Les plaintes semblent encore plus nombreuses chez les personnes âgées.
Malheureusement, malgré l’existence d’alternatives efficaces (j’y reviendrai), l’insomnie est quasi systématiquement traitée avec des médicaments. Aujourd’hui, presque 20% des Français consomment des benzodiazépines (anxiolytiques) ou des hypnotiques (somnifères), soit un adulte sur quatre !
Or, l’utilisation de somnifères n’est pas sans conséquences, loin s’en faut… C’est ce que nous allons voir dans cet article.
Insomnie et somnifères : quels risques ?
Les benzodiazépines
Et ça ne date pas d’hier…
Synthétisées pour la première fois au milieu des années 1950, les benzodiazépines offraient des propriétés sédatives/hypnotiques, anxiolytiques, anticonvulsives et relaxantes pour les muscles… et ce, sans la toxicité et l’absence manifeste de dépendance qui caractérisent les barbituriques utilisés auparavant.
Les avantages perçus des benzodiazépines, associés à l’absence présumée d’effets indésirables, ont fait de ces molécules les médicaments les plus couramment prescrits dans le monde à la fin des années 1970.
Ironiquement, pendant cette même période, on a constaté que les patients développaient une dépendance aux benzodiazépines après un usage chronique. Et que des symptômes de sevrage se produisaient lorsque ces médicaments étaient arrêtés.
Des conséquences avérées
Une vaste méta-analyse passant en revue l’utilisation des benzodiazépines dans le traitement de l’insomnie a illustré le manque d’études bien contrôlées concernant l’efficacité d’une exposition à long terme à ces médicaments chez les patients souffrant d’insomnie chronique.
Par rapport au placebo, les benzodiazépines ont effectivement entraîné une augmentation significative de la durée totale du sommeil de 61,8 minutes. Mais comme prévu, la somnolence diurne, les étourdissements et le déclin de la fonction cognitive ont été signalés dans le groupe de traitement actif. Ces résultats soulèvent la question du risque par rapport au bénéfice.
On sait aujourd’hui que ces molécules altèrent fortement la qualité du sommeil et nuisent de fait à l’éveil…
De plus, aucune benzodiazépine n’a été évaluée dans le cadre d’essais contrôlés randomisés dépassant 12 semaines. Autant dire qu’il est difficile de déterminer la sécurité et l’efficacité à long terme des benzodiazépines dans l’insomnie chronique.
Pire, des études d’observation ont établi un lien entre les benzodiazépines et:
- la somnolence diurne,
- les étourdissements,
- la démence,
- le délire,
- la dépression,
- les troubles de la mémoire antérograde,
- un risque accru de chutes, de fractures de la hanche, de problèmes de mobilité,
- les accidents de la route,
- une incidence accrue de cancer
- et l’insomnie de rebond…
Une liste à la Prévert qui ne présage rien de bon.
Les personnes âgées les plus touchées
Si aujourd’hui, les benzodiazépines sont moins utilisées comme hypnotiques, elles le sont encore largement comme anxiolytiques (sous les noms de Xanax®, Lexomyl®…).
Et elles restent fréquemment utilisées dans le traitement des troubles du sommeil chez les personnes âgées, malgré des dangers bien documentés.
Leur utilisation est ainsi environ 3 fois plus fréquente chez les personnes âgées. Près d’un tiers des personnes de plus de 60 ans à qui l’on a prescrit des benzodiazépines en font un usage prolongé, avec tous leurs effets secondaires précédemment listés.
De plus, la population adulte plus âgée court un risque accru de subir des effets indésirables en raison d’une capacité de détoxication amoindrie (fonctionnement hépatique et rénal diminué).
Rappelons également que la prescription de ces molécules ne peut normalement excéder 4 semaines et n’a d’indication que pour des insomnies ponctuelles. Or, de nombreuses personnes prennent ces molécules pendant plusieurs années…
et dépendantes…
On sait aujourd’hui que la consommation de benzodiazépines, même pour quelques jours seulement, peut entraîner une dépendance physique.
Leur arrêt brusque peut entraîner des symptômes de sevrage avec agitation, anxiété, insomnie de rebond, tachycardie, diarrhée, troubles de la perception sensorielle, dépersonnalisation, confusion, délire et crises…
Souhaitez-vous vraiment prendre le risque de commencer ?
Et si vous en prenez déjà, n’avez-vous pas envie d’essayer de vous en passer (accompagné correctement pour le sevrage bien sûr !) ?
Les non benzodiazépines
Beaucoup prescrits
Les non-BzRA, parfois appelés sédatifs-hypnotiques non-benzodiazépines, ont été développés pour la première fois dans les années 1980 dans l’intention de surmonter les aspects délétères de la thérapie aux benzodiazépines.
Communément appelés « médicaments Z », ces médicaments comprennent notamment le zolpidem (Stilnox® et génériques) et la zopiclone (Imovane® et génériques).
En raison des effets indésirables connus associés aux benzodiazépines, la tendance au cours de la dernière décennie a été d’utiliser des produits non-BzRA. Réputés moins nocifs, et vendus encore comme tels aujourd’hui, ils occupent à présent les ¾ du marché mondial.
Aux USA, l’analyse des données de l’enquête nationale sur les soins médicaux ambulatoires sur une période de 15 ans (1993-2007) a montré que les prescriptions d’agents non-BzRA ont augmenté 21 fois plus rapidement que les plaintes d’insomnie et 5 fois plus rapidement que les diagnostics d’insomnie.
Autrement dit, ces médicaments non-BzRA sont prescrits même sans plainte ou diagnostic documenté du patient !
Or, comme tout médicament, les agents non-BzRA ne sont pas bénins.
mais dangereux aussi
Des études d’observation ont démontré que ces médicaments ont des effets indésirables, certes moins fréquents que les benzodiazépines, mais graves, notamment la démence, le délire, le somnambulisme, les blessures graves, les fractures et un risque accru de cancer.
Leur utilisation est associée à une augmentation des hospitalisations et des accidents de la route.
Au fur et à mesure de l’accumulation de l’expérience à long terme avec le zolpidem, davantage d’effets indésirables ont été identifiés.
Des cas d’amnésie antérograde, d’hallucinations et de délire ont été signalés, ainsi que des comportements nocturnes inhabituels tels que le fait de se nourrir, d’avoir des relations sexuelles ou de conduire en dormant.
Dans le même temps, le zolpidem est devenu l’une des premières substances à usage détourné toxicomanique ! C’est pourquoi la prescription de cette molécule, se fait, depuis le 10 avril 2017 en France, uniquement sur ordonnance sécurisée. Elle reste de plus inscrite sur la liste I des substances vénéneuses et sa prescription reste limitée à 4 semaines.
Le cercle vicieux des somnifères
Source : http://www.sommeil-mg.net/spip/Alcool-et-somniferes
Même s’ils restent malheureusement le traitement préféré des insomniaques en France, les somnifères sont et restent néfastes à moyen terme. Et leur utilisation crée des dépendances qui aggravent les problèmes de sommeil !
Ainsi, des somnifères pris pour traiter des troubles du sommeil altèrent l’architecture du sommeil qui devient bien moins profond et efficace.
Dans le même temps, le sommeil s’adapte à la substance et les somnifères sont de moins en moins efficaces pour l’induire (c’est l’accoutumance). Le patient augmente alors les doses, essaie d’autres substances et/ou fait des mélanges tandis que son sommeil continue de s’altérer (tolérance au traitement).
Les insomnies persistent, même avec somnifère…
Généralement, à ce stade, l’arrêt du traitement est souvent envisagé et testé. Mais l’insomnie de rebond qui s’en suit, encore plus forte que l’insomnie initiale, incite à reprendre en désespoir de cause le traitement (phase de dépendance)…
Les tentatives infructueuses peuvent ensuite être nombreuses car l’accoutumance et la dépendance sont fortes.
A aucun moment, le somnifère n’a pourtant permis de retrouver un sommeil de qualité.
Et pourtant…
Des alternatives efficaces aux somnifères existent… mais elles demandent un peu d’effort !
Les thérapies cognitives et comportementales
La thérapie cognitivo-comportementale de l’insomnie est une approche indispensable pour traiter :
- les comportements
- et les idées préconçues sur le sommeil
qui perpétuent l’insomnie chez l’adulte et la personne âgée.
Considérée comme une approche thérapeutique de première ligne pour toutes les formes d’insomnie, elle consiste en plusieurs interventions qui peuvent avoir des effets positifs significatifs sur le temps de sommeil et le temps d’éveil.
De nombreuses études ont permis d’en confirmer la pertinence.
Les avantages de la thérapie ne sont généralement pas immédiatement perceptibles, mais dans un essai la comparant aux benzodiazépines, elle s’est révélée bien plus efficace que les hypnotiques sur le long terme.
Comprendre l’évolution du sommeil avec l’âge en est une étape importante pour contrer des idées préconçues…
L’architecture du sommeil évolue avec l’âge
Plusieurs processus physiologiques importants, qui s’étendent sur toute la vie, se produisent et créent des changements du sommeil avec l’âge.
Au fur et à mesure qu’une personne vieillit, la durée moyenne du sommeil diminue pour atteindre environ 5 à 7 heures de sommeil par nuit. Les patients plus jeunes ont une capacité de sommeil maximale de 8,9 heures en moyenne contre 7,4 heures chez les sujets plus âgés.
D’autres composantes de l’architecture du sommeil changent également avec l’âge.
On observe une augmentation du sommeil léger après le début du sommeil, une diminution du temps passé dans les phases réparatrices du sommeil (sommeil lent profond) et une augmentation du temps d’éveil pendant la nuit.
Les changements physiologiques du rythme circadien inciteront également les personnes âgées à se coucher plus tôt et, en fin de compte, à se réveiller plus tôt.
Ce scénario diminue directement la qualité et la durée du sommeil.
L’usage plus fréquent de la sieste amplifie d’autant plus ces modifications du sommeil.
La compréhension de ces changements physiologiques qui se produisent dans l’architecture du sommeil au fil du temps permet ainsi d’ajuster ses attentes en matière de sommeil : plus on vieillit, plus le sommeil est léger, et moins on a besoin de dormir longtemps…
C’est totalement normal et physiologique.
Vouloir absolument dormir pendant 8h d’un sommeil de plomb n’est donc pas physiologiquement raisonnable. D’autant plus si la prise de somnifères est la seule réponse apportée à ces attentes inadaptées.
L’hygiène du sommeil
Cependant, reconnaitre que ses besoins de sommeil diminuent avec l’âge ne veut pas dire que les plus âgés ne souffrent pas aussi de troubles du sommeil. Le volet comportemental de la thérapie insiste alors sur l’hygiène du sommeil.
Il s’agit notamment de contrôler l’environnement, de limiter le temps passé au lit, de réduire les stimuli extérieurs, de promouvoir la relaxation par la médiation et la pleine conscience, de limiter la caféine et l’alcool, et d’éviter les siestes pendant la journée et l’exercice physique à l’approche du coucher.
Pour aller plus loin sur cette partie, je vous invite à lire les articles suivants de ce dossier consacrés aux clés pratiques pour apprendre à bien dormir…
En conclusion
Le traitement idéal de l’insomnie devrait permettre d’améliorer la latence et la durée du sommeil, avec des réveils limités, et être sans effets secondaires néfastes importants.
Évidemment, tout facteur qui provoque l’insomnie ou l’interruption du sommeil devrait logiquement être éliminé avant de commencer tout traitement ou intervention (à ce titre, la présence d’autres pathologies et des traitements associés devraient être considérés avec attention).
Depuis des décennies, les hypnotiques ont été et sont les options les plus couramment utilisées pour le traitement de l’insomnie. Leurs effets nocifs ont cependant rendu ces agents quelque peu prohibitifs.
Mais en tout état de cause, l’approche cognitivo-comportementale et l’hygiène du sommeil devraient toujours être le traitement initial de l’insomnie et devraient se poursuivre tout au long du traitement (si traitement il y a).
Les articles suivants sont là pour vous aider !
- La sieste, c’est pas automatique ! (surtout en cas d’insomnie…)
- Comment le contenu de l’assiette influence votre sommeil
- les clés pratiques et les compléments pour retrouver un bon sommeil
Références :
- Matheson E. & Hainer BL. 2017. Insomnia: Pharmacologic Therapy. Am Fam Physician. 1;96(1):29-35.
- Schroeck JL. et al. 2016. Review of Safety and Efficacy of Sleep Medicines in Older Adults. Clin Ther. 38(11):2340-2372
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