bactéries et biofilms
Troubles et pathologies

Les biofilms : quelles implications pour la santé ?

Je suis prête à parier que vous n’avez jamais entendu parler de biofilms… et pourtant ils sont partout. Surtout dans les hôpitaux (à notre grand malheur, vous verrez !) mais aussi en nous, notamment dans nos intestins…

Oui, je sais, nous avons déjà parlé à plusieurs reprises du microbiote. D’ailleurs, si vous souhaitez un petit rappel sur ce fameux microbiote, ce qui le compose et ses rôles pour notre santé, n’hésitez pas à aller lire les articles que j’ai déjà rédigés à son sujet :

Non, aujourd’hui, c’est davantage sur l’organisation spatiale de ces petits hôtes que nous allons nous pencher. Car, si anodin que cela puisse paraitre, de l’organisation de ces micro-communautés dérive une problématique, mondiale et bien réelle, l’antibiotolérance… (Je reviens plus loin dans l’article sur les termes d’antibiorésistance et antibiotolérance, alors ne vous étonnez pas de voir ce terme ici !).

L’antibiotolérance est devenue un vrai problème de santé publique.  Et c’est peu dire ! Selon l’OMS, « certaines des infections les plus courantes, et potentiellement les plus dangereuses, s’avèrent résistantes aux médicaments ». En France, c’est près de 13000 personnes qui meurent chaque année après avoir contracté une infection due à des bactéries multirésistantes.

Mais la mutation génétique, phénomène bien connu qui confère cette résistance à la bactérie, n’est pas le seul mécanisme en jeu, loin s’en faut. On s’est ainsi rendu compte que les bactéries vivent très souvent en micro-communautés appelées biofilms, qui les rendent tolérantes vis à vis des médicaments, sans nécessiter de mutation génétique…

Autrement dit, les bactéries que nous hébergeons et celles qui nous entourent se regroupent, s’organisent et se structurent. Cela donne envie d’en savoir plus, non ?

 

Que sont les biofilms ?

En milieu naturel, les micro-organismes sont organisés en communautés

Très longtemps, les recherches en microbiologie se sont concentrées sur des populations bactériennes planctoniques, c’est-à-dire libres (avec des organismes isolés, flottants ou en suspension). Tout simplement parce que l’on n’imaginait pas qu’il puisse en être autrement !

Et pourtant, il est maintenant évident scientifiquement que les bactéries existent en milieu naturel (et dans notre corps !) d’abord sous forme de biofilms.

En fait, les recherches menées au cours des dernières décennies ont clairement établi que 99,9% de tous les microorganismes connus présents dans des environnements naturels sont fixés aux surfaces. La vie dans une population adhérente leur offre en effet des avantages nutritionnels et protecteurs.

Le biofilm : définition

Un biofilm est donc une communauté structurée de cellules microbiennes (bactéries et champignons essentiellement) adhérentes les unes aux autres, enfermée dans une matrice extracellulaire principalement protéique, auto-produite, et adhérente à une surface vivante ou inerte.

Ainsi, lorsque ces microbes se regroupent, ils ne font pas que se serrer la main. Ils en profitent pour bâtir une enveloppe protectrice tout autour de leur communauté. C’est ce que les chercheurs appellent la matrice extracellulaire.

Cette matrice favorise l’adhérence microbienne à la surface, l’adhésion et l’agrégation des cellules entre elles. Elle fonctionne comme un échafaudage 3D qui assure la cohésion et la stabilité mécanique de l’ensemble.

Cette organisation fournit également un atout de taille pour ces communautés : elle leur confère une protection contre le système immunitaire de l’hôte et, « accessoirement »,  les traitements antimicrobiens.

Les étapes de construction du biofilm

Pour ceux qui aiment bien comprendre comment ça marche, voici les 5 étapes qui caractérisent le développement des biofilms.

La 1ère étape, réversible, correspond à l’attachement précoce : les cellules microbiennes planctoniques adhèrent à une surface.

Si le processus se poursuit, l’attachement précoce est suivi d’un attachement tardif dit irréversible où les bactéries se fixent fermement à la surface par des molécules d’adhésion (2ème étape). Elles commencent alors à produire des substances polymériques extracellulaires, principalement des protéines.

La 3ème étape consiste en le développement de micro-colonies immergées dans la substance extracellulaire.

Quand le biofilm mature (4ème étape), il se caractérise par des micro-colonies séparées par des canaux d’eau qui servent de système circulatoire primitif.

Le biofilm mature commence à relâcher des cellules planctoniques et des agrégats bactériens (emboles septiques) : c’est l’étape de dispersion (5ème étape). Ainsi, une fois que le biofilm s’établit et mûrit sur une surface, il libère des cellules planctoniques qui retournent dans la phase liquide (« en vrac ») jusqu’à ce qu’elles trouvent un nouvel endroit à coloniser.

La communication entre bactéries

Ce processus complexe de construction du biofilm repose sur la capacité des bactéries à coopérer. Et en effet, grâce à un moyen de communication de cellule à cellule, appelé quorum sensing (détection du quorum), les bactéries sont capables de synchroniser leur développement et communiquent entre elles de façon à réguler leur comportement.

Les microbes parlent entre eux, communiquent, et coordonnent ainsi leur développement et leurs actions au sein de la communauté.

 

Quels impacts ont les biofilms sur notre santé ?

Quand le microbiote va… tout va !

Il y a généralement équilibre symbiotique entre l’hôte et les biofilms associés, par exemple dans la cavité buccale, le tractus gastro-intestinal ou le vagin. Oui, nous avons tous des biofilms dans chacune de ces parties du corps. Bon, juste les femmes pour la dernière localisation, on est d’accord !

Ce microbiote est bénéfique car il empêche notamment la colonisation par des agents pathogènes, fournit des nutriments à l’hôte et influence positivement le système immunitaire (principalement dans l’intestin).

Mais certains facteurs environnementaux ou génétiques peuvent toutefois provoquer une dysbiose – un déséquilibre microbien qui nuit à l’organisme hôte. La dysbiose conduit alors souvent à une inflammation destructive chronique et à la prolifération d’agents pathogènes opportunistes.

En médecine conventionnelle, c’est souvent là que les antibiotiques entrent en jeu… mais de plus en plus sans succès.

Du biofilm… à l’antibiotolérance

Selon l’Institut National de la Santé américain, 65% et 80% des infections microbiennes et chroniques respectivement sont associées à la formation de tels biofilms.

En effet, les biofilms sont extrêmement récalcitrants à l’élimination par les agents antimicrobiens et à la réponse immunitaire de l’hôte. Et bah oui, ce n’est pas pour rien qu’ils s’organisent ainsi ensemble !

On dit ainsi généralement que les biofilms sont 100 à 1000 fois moins sensibles aux traitements antimicrobiens que leurs homologues planctoniques (isolés) ! Efficace !

La tolérance aux antibiotiques est due à plusieurs facteurs dont :

  • Une pénétration réduite des substances à travers la matrice des protéines extracellulaires
  • L’état physiologique végétatif des cellules croissant dans le biofilm (croissance lente, environnement anaérobie) qui les rend moins sensible à certains antibiotiques (lire ci-dessous)
  • La présence de cellules persistantes qui, du fait de leur état, sont hautement tolérantes aux antibiotiques et peuvent donc régénérer les cellules végétatives dans le biofilm.

Il en résulte des infections fréquentes des dispositifs médicaux (cathéters, prothèses, valves cardiaques… mais aussi lentilles de contact) qui sont largement responsables des maladies nosocomiales (contractées à l’hôpital).

Une résistance physique, et non génétique, aux antibiotiques

Les nombreuses études publiées ces dernières années sur les biofilms cherchent à comprendre les mécanismes régissant la tolérance aux antibiotiques des bactéries qui en produisent.

Il a ainsi été démontré que ce sont les particularités physiques et chimiques de la matrice extracellulaire, et non des mutations génétiques, qui confèrent cette antibiotolérance, et qui mènent le plus souvent à la chronicité des infections.

Au cours d’une infection, les bactéries incluses dans les biofilms présentent une croissance lente et un métabolisme ralenti en raison d’une faible consommation d’oxygène. L’oxygène présent est en effet utilisé en abondance par les bactéries actives à la périphérie du biofilm. Or les antibiotiques sont généralement optimisés pour les bactéries aérobies (dont le métabolisme consomme de l’oxygène) à croissance rapide. Ils peuvent donc réduire les populations de bactéries isolées et métaboliquement actives (infections aiguës). Mais ils sont sans effet sur les bactéries anaérobies des biofilms… responsables des infections bactériennes chroniques.

En effet, les infections aiguës relèvent vraisemblablement des bactéries planctoniques, et sont généralement traitées efficacement par antibiotiques. A condition bien sûr que le diagnostic soit précis et rapide et permette l’utilisation de l’antibiotique approprié. Cependant, lorsque les bactéries forment un biofilm à l’intérieur de l’organisme, l’infection est souvent résistante aux traitements standards, et conduit à la chronicité de l’infection. C’est ce que l’on observe également dans les plaies chroniques.

Et les champignons sont aussi concernés !

Et oui, sinon ce serait trop simple !

Prenons l’exemple des infections fongiques.

Elles représentent la 4ème cause d’infection sanguine nosocomiale (contractée à l’hôpital). Les champignons du genre Candida sont les plus communément associés à ces infections. Candida albicans est l’espèce la plus répandue, à l’origine de maladies à la fois superficielles et systémiques. Même avec les traitements antifongiques actuels, la mortalité associée à la candidose peut atteindre 50% chez les adultes et jusqu’à 30% chez les enfants.

Or, les Candida s’organisent aussi en biofilms. Et en général, Candida albicans produit des biofilms quantitativement plus importants et qualitativement plus complexes que les autres espèces.

De plus, des études récentes montrent que les champignons et les bactéries peuvent aussi produire des biofilms mixtes, où les deux types de micro-organismes coexistent et interagissent. Bactéries et champignons parlent donc la même langue !

Beaucoup de chemin reste encore à faire pour mieux comprendre le fonctionnement de ces biofilms. Les relations et les différences entre les communautés microbiennes (bactériennes et/ou fongiques) au sein d’un biofilm n’ont pas encore été étudiées.

Et c’est tout l’enjeu des recherches futures dans ce domaine. Il s’agit de comprendre les interactions entre les différents micro-organismes au sein de ces communautés (plutôt que de simplement les répertorier). Car de ces communautés émergent des propriétés synergiques dont l’effet est plus important que le somme de chacune des parties.

Antibiorésistance ou antibiotolérance ?

Cette question de vocabulaire a son importance.

Le terme résistance décrit généralement une altération permanente des gènes d’un micro-organisme. Cette mutation est transmise aux génération suivantes pendant la prolifération. La résistance permet aux microorganismes planctoniques de survivre à l’exposition à des agents antimicrobiens qui tuent normalement des souches non résistantes de l’espèce. La résistance est un changement irréversible du génome de la bactérie.

La tolérance, quant à elle, décrit la capacité transitoire des micro-organismes à survivre à l’exposition à des agents qui tueront normalement la forme planctonique de l’espèce. La tolérance dépend généralement de l’état physique et/ou des conditions environnantes immédiates du microorganisme, telles qu’une matrice de biofilm. C’est un état réversible de la bactérie qui lui permet de survivre à un traitement antibiotique, ou à une attaque du système immunitaire de l’hôte.

L’enjeu est de taille puisque les médicaments antibactériens actuellement sur le marché font donc face au développement de résistance (par mutation génétique) mais aussi de tolérance (via la formation des biofilms), ce qui multiplie d’autant les cas de leur inefficacité…

L’échec des antibiotiques systémiques pour éradiquer les biofilms conduit à un intérêt croissant pour les thérapies alternatives et/ou complémentaires aux antibiotiques.

 

La lutte anti-biofilms doit s’organiser !

Les infections par biofilm ne se prêtent pas facilement aux traitements antimicrobiens existants ou aux approches « à solution unique ». Car la persistance des biofilms est une conséquence de leurs propriétés physiques et biologiques complexes associées à de multiples facteurs génétiques et moléculaires microbiens, et implique fréquemment des interactions multi-espèces.

De nombreuses études testent différentes approches, souvent combinées, afin d’empêcher la formation des biofilms, leur adhérence sur les surfaces ou d’en altérer la structure :

  • surfaces antimicrobiennes pour les dispositifs médicaux (avec nanoparticules d’argent et de cuivre),
  • utilisation de bactériophages (virus spécifiques des bactéries, thérapeutique largement utilisée en Géorgie, en Pologne ou en Russie),
  • thérapie photodynamique pour les plaies chroniques (colorant photo-actif et irradiation en présence d’oxygène),
  • mais aussi molécules antibiofilms synthétiques ou naturelles.

Par exemple, la NAC (N-acétylcystéine), un dérivé synthétique de la cystéine, un acide aminé naturellement présent dans l’organisme, a montré un rôle potentiel comme agent anti-biofilm. Elle perturbe notamment différentes étapes de sa formation : adhésion aux surfaces, production et organisation de la matrice, et dispersion de biofilms préformés.

C’est également le cas de nombreuses molécules d’origine végétale telles que les ECGC du thé vert, la quercétine (un antioxydant très présent dans l’oignon), la curcumine du curcuma, la berbérine, l’acide usnique (extrait du lichen) ou l’eugénol (dans certaines huiles essentielles, dont la cannelle).

 

L’espoir est donc permis, même si pour le moment, peu d’options thérapeutiques sont réellement disponibles sur le plan clinique.

En effet, bien que de nombreuses études montrent des réductions statistiquement significatives du biofilm ou des altérations de ses structures en laboratoire, peu ont été testées ou validées à l’aide de modèles cellulaires humains ou in vivo.

 

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Sources :

6 réflexions au sujet de “Les biofilms : quelles implications pour la santé ?”

  1. Bonjour,
    L’huile essentielle d’ail et de cannelle détruit également le biofilm. Ainsi que Biofilm défense qui contient de la serrapeptase et de la nattokinase.

    1. Merci pour votre précision. Mais la prise de ces huiles essentielles, très puissantes, nécessite un accompagnement et un protocole précis. Les compléments alimentaires ont également des contre-indications et des précautions d’emploi. C’est pourquoi je ne cite jamais de produits ou de compléments sur ce site. Je souhaite amener les lecteurs et lectrices à se poser des questions et à reprendre en main leur santé par l’hygiène de vie d’abord, pas par de l’auto-médication qui pourrait être nocive sans des conseils adaptés.

  2. Au sujet des biofilms de levures, voici ce que j’observe à travers mon microscope en contraste de phase dans des spécimens de sang frais (non coloré et tout de suite après le prélèvement:
    ( il est impossible techniquement de transférer la photo dans ce commentaire…).
    SVP, envoyez-moi un courriel et je vous transférerai la photo d’un biofilm de levure présent dans le sang périphérique.
    Les naturopathes d’ici emploient la serrapeptase pour détruire les biofilms, à défaut de Chitinase, laquelle est interdite au Canada!

    1. Bonjour, et merci pour votre commentaire.
      Vous pouvez m’écrire à marine.dodet@la-sante-en-clair.com
      Je connaissais l’utilisation de la serrapeptase comme analgésique et anti-inflammatoire naturel (les études sont de plus en plus solides dans ce domaine), mais pas comme inhibiteur de biofilms. Existe-t-il des études solides mettant en évidence cette propriété in vivo ?
      Je viens d’en trouver une sur le biofilm du staphylocoque doré, mais la serrapeptase est utilisé en combinaison avec des antibiotiques (et permet d’en augmenter l’efficacité), et une autre où elle est utilisée seule mais uniquement in vitro. La serrapeptase a l’air en effet vraiment prometteur pour cette utilisation…
      Merci pour cette information !

  3. Bonjour Marine, ton article est passionnant, je n’avais pas trouvé une telle synthèse francophone à ce sujet, je suis ravie de te lire !! J’ai un blog sur la candidose, et le biofilm est donc un sujet qui me concerne aussi ! As-tu un avis sur l’argent colloidal pour lutter contre le biofilm ? Merci beaucoup, Juliette

    1. Bonjour Juliette,
      Merci pour ton retour sur l’article !
      Je suis allée voir ton blog qui est également très intéressant. La candidose est effectivement une problématique de plus en plus fréquente et encore largement méconnue…
      Concernant l’argent colloïdal, j’ai bien trouvé quelques articles qui confirment son action anti-microbienne (bactéries et champignons) (par exemple :https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/17379174/) mais je n’ai pas trouvé d’étude qui teste spécifiquement son action sur les biofilms. Je mets davantage d’espoir dans les huiles essentielles et dans la NAC qui sont vraiment très prometteurs. Certains labos les proposent d’ailleurs déjà en protocole anti-candida. Ceci dit, y associer l’argent colloïdal est probablement une bonne idée… si nous avions le droit de le conseiller en interne…
      Marine

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