Le corps humain héberge des milliards de micro-organismes connus sous le nom collectif de microbiote humain. Le terme « microbiote intestinal », qui a succédé à celui de flore intestinale, est maintenant bien connu du grand public, notamment grâce aux nombreux ouvrages et reportages qui portent sur ce « deuxième cerveau ». Mais bien plus rares sont les personnes qui connaissent également les autres microbiotes que nous hébergeons. Car oui, il existe également un microbiote de la peau, du vagin, des poumons, du nez, de la bouche ou du pharynx ! Néanmoins, il est vrai que le microbiote intestinal est, de loin, le plus important et le plus abondant du corps humain.
Or la qualité du microbiote est maintenant de plus en plus associée, en particulier lorsqu’elle est pauvre, à nombre de pathologies de plus en plus fréquentes : maladies auto-immunes, maladies métaboliques, maladies cardiovasculaires, etc.
Lutter contre ces pathologies, ou au moins se préserver d’elles, passe donc par un microbiote intestinal lui même en bonne santé.
- Mais que signifie avoir un microbiote sain ?
- Une fois cela défini, quels sont les facteurs qui perturbent ce microbiote ?
- Et in fine, comment le protéger, ou au moins retrouver un microbiote en bonne santé ?
C’est ce que je vous propose de commencer à explorer aujourd’hui, en répondant à la 1ère question : qu’est-ce qu’un microbiote sain ? J’ai répondu à la seconde question dans l’article : « A l’origine de la dysbiose, les stress !« . Quant à la 3ème, c’est par ici : « Comment prendre soin de son microbiote ? »
Le microbiote intestinal est maintenant abondamment étudié. En effet, les études qui tentent de le décrire, d’expliquer les interactions entre bactéries intestinales et santé ou pathologies, sont légion aujourd’hui. Alors, tentons de détailler un petit peu ce que sont ces micro-organismes, et comment nous interagissons avec eux.
Composition du microbiote intestinal
Le microbiote intestinal désigne l’ensemble des microorganismes vivant dans le tube digestif, principalement dans l’intestin grêle et le côlon, qui font suite à l’estomac. L’estomac en héberge en effet très peu en raison de son acidité très élevée.
Une communauté très nombreuse…
Les microbes intestinaux comprennent des bactéries, des virus, des champignons et autres levures. Pris tous ensembles, ce ne sont pas moins de 100 000 milliards de microbes que nous accueillons. Soit environ 2 kg de matière organique qui se répartit sur une surface de 200 m2 (superficie de la surface d’échange intestinale). Ainsi, les microbes que nous hébergeons (en très large majorité des bactéries) sont 10 à 100 fois plus nombreux que nos cellules…
Le microbiote est réparti entre :
- la lumière du tube digestif, c’est-à-dire l’intérieur du conduit digestif, là où progresse le bol alimentaire en cours de digestion,
- et le film protecteur, composé de mucus, que sécrète la paroi intestinale.
… et très diversifiée
Les connaissances actuelles quant à la composition et le fonctionnement du microbiote concernent surtout les bactéries, sujet de la majorité des études entreprises à ce jour.
Les études génétiques ont permis jusqu’à présent d’identifier plus de 3 millions de gènes différents. On estime aujourd’hui que le génome collectif du microbiote intestinal est 100 fois plus grand que le génome humain.
Ces 3 millions de gènes appartiennent à plus de 500 genres différents, et plus de 1000 espèces différentes. Pour les espèces qui ont pu être identifiées pour l’instant ! Car il en reste encore beaucoup à découvrir ! Environ 90% d’entre elles appartiennent à seulement 2 grands phylum (ou groupes) : les Bacteroidetes et les Firmicutes.
Classiquement, un adulte en bonne santé héberge environ 160 espèces de bactéries différentes dans son intestin. Et ces 160 espèces peuvent être très différentes d’un individu à l’autre.
Prenons par exemple deux personnes quelconques dans la rue. Des analyses de selles montreraient qu’elles hébergent en moyenne au moins 75 espèces communes (soit environ la moitié des espèces présentes). Mais si l’on considère maintenant un groupe de 1000 personnes, une seule espèce bactérienne sera commune à toutes ces personnes. C’est pourquoi certains parlent du microbiote intestinal comme d’une véritable carte d’identité !
Maintenant que les présentations sont faites, intéressons nous à l’impact de ce microbiote sur notre santé…
Un microbiote intestinal sain, qu’est-ce que ça veut dire ?
Il n’existe pas de consensus sur ce qui constitue, ou pas, un microbiote sain. Certaines caractéristiques sont cependant considérées comme soit globalement favorables, soit néfastes.
À quelques exceptions près, un microbiote intestinal plus diversifié, à la fois en composition et en contenu génétique, est considéré comme un microbiote plus sain. En effet, un microbiote de faible diversité manquerait de microbes «clés de voûte» nécessaires au maintien d’un écosystème sain.
Un autre facteur associé à un « bon » microbiote, c’est sa capacité à résister à la perturbation ou à revenir à un état sain suite à une perturbation. Comme en psychologie, on parle de résilience.
Bref, un microbiote intestinal sain pourrait finalement se résumer à une communauté diversifiée dominée par certains microbes bénéfiques.
Au contraire, la dysbiose se caractérise par un microbiote dominé par quelques microbes nuisibles. Plus généralement, on parle de dysbiose pour évoquer un microbiote déséquilibré, favorisant des espèces délétères.
Des espèces plus bénéfiques que d’autres ?
Les effets sur la santé de la plupart des espèces sont variés et pas toujours clairs. Il existe cependant quelques groupes généralement considérés comme bénéfiques et d’autres généralement considérés comme négatifs.
Par exemple, les genres Lactobacillus et Bifidobacterium sont classiquement considérés comme bénéfiques. Les souches appartenant à ces deux genres :
- stimulent les fonctions immunitaires,
- favorisent la digestion,
- modulent de manière favorable la physiologie gastro-intestinale
- et découragent la colonisation de pathogènes.
C’est pourquoi nombres de ces souches sont couramment utilisées comme probiotiques. Selon la définition de l’OMS, les probiotiques sont des microorganismes vivants qui, lorsqu’ils sont administrés en quantité suffisante, confèrent un avantage pour la santé.
Un consensus récent classe également les espèces des genres Eubacterium, Roseburia et Faecalibacterium comme bénéfiques pour la santé. En effet, ces taxons produisent du butyrate (un acide gras à chaine courte). Le butyrate a divers effets positifs sur la santé intra-intestinale et extra-intestinale (c’est-à-dire ailleurs dans l’organisme). Il améliore notamment l’intégrité de la barrière intestinale, et réduit l’inflammation chronique et le stress oxydatif. Quand on connait les ravages, souvent silencieux mais terribles, de ces deux mécanismes pour la santé, on comprend mieux l’intérêt de la présence de ces espèces dans notre microbiote…
Et les autres, plus délétères ?
A l’opposé du spectre, on trouve les microbes dangereux. Bien sûr, la plupart des microbes sont dangereux s’ils entrent dans la circulation sanguine, et globalement, on cherche à éviter la dominance d’un seul groupe. Mais les Enterobacteriaceae, une famille qui inclut les genres Escherichia, Shigella, Proteus et Klebsiella, ont fréquemment été impliqués dans le développement d’inflammation et des pathologies associées. Le principal mécanisme sous-jacent consiste en la production d’une endotoxine (le LPS pour lipopolysaccharide), un composé attaché au système membranaire des bactéries gram-négatives qui active le système immunitaire et provoque de fortes réactions pro-inflammatoires.
Pour résumé, un microbiote intestinal sain est donc une communauté de microbes largement diversifiée, et dominée par des espèces aux effets majoritairement bénéfiques pour la santé. En outre, ces effets concernent particulièrement des mécanismes clés de voûte pour notre santé, à savoir la modulation de l’inflammation chronique dans notre organisme. L’inflammation chronique étant, je le rappelle, à l’origine de la plupart des pathologies dites de civilisation…
Hôte et microbiote : la symbiose
Nous avons largement co-évolué avec ce génome non-humain. Et cette coévolution a abouti à une relation à double sens de type symbiotique. En biologie, on définit une symbiose comme une association à bénéfices réciproques. Voyons quels sont ces bénéfices.
Ce que notre microbiote intestinal fait pour nous
Il :
-
- façonne le développement et le fonctionnement de notre système immunitaire. Et à ce titre, la qualité du microbiote que nous hébergeons constitue une pierre angulaire de la qualité et de l’efficacité de notre système immunitaire
- renforce notre barrière intestinale
- métabolise les nutriments non digérés et les xénobiotiques (c’est-à-dire les molécules d’origine étrangère et toxiques pour l’organisme)
- module l’activité de nos systèmes nerveux central (l’encéphale) et entérique (les neurones présents dans le système digestif, ce fameux
« deuxième cerveau ») - et nous protège contre des agents pathogènes, notamment en occupant l’espace et en sécrétant des éléments nocifs pour les pathogènes de
passage.
Autant dire que les services que nous rendent ces bactéries sont inestimables pour notre santé !
En retour, nous fournissons à nos hôtes
- un environnement hospitalier. Le pH (autrement dit l’acidité du milieu), la température et l’humidité intestinales sont adaptés à leur croissance
- et des éléments nutritifs qui leur permettent également de se multiplier.
Les substrats que nous leur fournissons… et ce qu’ils en font !
Les glucides
Les glucides non digérés sont le substrat préféré de nombreux microbes intestinaux. Ils sont fermentés en acides gras à chaines courtes tels le butyrate, l’acétate et le propionate. Ces composés ont montré de nombreux effets positifs pour la santé :
- réduction de l’inflammation du côlon
- stimulation de la croissance des cellules épithéliales
- amélioration de l’immunité
- diminution de la cancérisation
- prévention de la colonisation par des agents pathogènes
- et augmentation de l’absorption intestinale des minéraux.
Le butyrate en particulier est un réel bénéfice pour la santé. Il présente des effets anti-inflammatoires, antioxydants et anticancéreux, et améliore la fonction de barrière intestinale.
Des études récentes suggèrent même que le butyrate pourrait également protéger les cellules souches de l’intestin des composés génotoxiques (qui créent des lésions à l’ADN et donc potentiellement des mutations) qui pourraient s’y trouver, notamment en cas de lésion de la muqueuse intestinale.
En revanche, des molécules intermédiaires qui apparaissent lors de la fermentation des glucides, le D-lactate et le succinate, ont été associées à la dysbiose, à l’augmentation de la perméabilité gastro-intestinale et à l’inflammation.
Les protéines
Les protéines et les acides aminés (les briques constitutives des protéines) sont métabolisés, c’est-à-dire transformés, par le microbiote intestinal en une variété de composés. On retrouve notamment les acides gras à chaine courte, mais également les composés phénoliques, le sulfure d’hydrogène et l’ammoniac.
Plusieurs de ces composés ont démontré une toxicité et une augmentation de la perméabilité intestinale, dans des modèles cellulaires in vitro. Mais les preuves d’effets similaires aux concentrations physiologiques in vivo sont, à ce jour, insuffisantes. Et comme rien n’est jamais tout noir ou tout blanc, d’autres métabolites issus de la fermentation des acides aminés, tels que les composés indoliques, auraient des effets favorables sur la barrière intestinale !
Le microbiote est également capable de synthétiser des molécules neuro-actives, telles que la sérotonine, la dopamine, l’histamine et le GABA. Ces composés impactent nos capacités mentales et notre comportement via l’axe cerveau-intestin. A ce sujet, de plus en plus d’études relient l’état du microbiote intestinal à certaines modifications du fonctionnement nerveux entrainant des comportements atypiques, tels que ceux que l’on peut observer dans les désordres du spectre autistique.
En résumé
A ce stade, remarquons que les microbes que nous hébergeons ont des impacts absolument colossaux sur notre santé, certes, mais également sur tout le fonctionnement de notre organisme ! En fait, ils interviennent directement ou indirectement dans tous les mécanismes centraux qui régissent notre santé : modulation de l’inflammation chronique et prévention de l’oxydation, qualité de la barrière intestinale, équilibre de notre système nerveux et efficacité de notre système immunitaire…
Autant dire que notre santé dépend obligatoirement de l’état de notre microbiote ! Et qu’il est vain de vouloir guérir ou se prémunir de n’importe quelle pathologie moderne sans prendre soin de nos hôtes…
Évidemment, les conséquences d’une perturbation de ce microbiote ne peuvent qu’être problématiques à moyen terme.
Dysbiose et conséquences
En effet, une perturbation de l’environnement gastro-intestinal peut initier un cercle vicieux dans lequel les modifications néfastes du microbiote intestinal, autrement dit la dysbiose, accentuent le dysfonctionnement physiologique intestinal qui entretient la dysbiose.
La dysbiose a été largement étudiée et associée à des détériorations transitoires de l’état de santé. Détériorations transitoires, qui peuvent devenir chroniques si la dysbiose l’est également.
La dysbiose entraine notamment une hyper-perméabilité et de l’inflammation intestinales. Elle a été aussi associée à :
- une susceptibilité accrue aux maladies et aux infections, via un affaiblissement du système immunitaire notamment
- des déficiences psychologiques et à la dépression
- de nombreuses maladies chroniques, telles que
- l’obésité et les pathologies cardio-métaboliques qui y sont associées
- les maladies inflammatoires de l’intestin
- le cancer du côlon
- les maladies auto-immunes
- et psychologiques
entre autres…
Ces associations dysbiose/pathologies sont à l’origine d’un intérêt scientifique considérable pour l’identification des facteurs responsables de la dysbiose. Et in fine, pour l’élaboration de stratégies visant à exploiter le potentiel considérable du microbiote intestinal pour notre santé.
C’est ce que je vous invite à découvrir dans :
Et ce n’est pas tout !
Rappelons ici que la plupart des études menées sur le microbiote ne concernent que les bactéries. Or, les virus bactériens, ceux qui infectent les bactéries, sont aussi très présents dans le microbiote ! Ils ont notamment la capacité de modifier l’expression des gènes bactériens, voire même de modifier ce génome. Il ne fait donc aucun doute que ce patrimoine viral, que l’on appelle le virome, a aussi sa part à jouer dans l’ensemble des pathologies liées à la dysbiose. Il en est probablement de même des levures et des champignons. Autant dire que l’on est encore loin de connaitre tous les tenants et les aboutissants de ces relations, échanges et/ou symbioses interspécifiques… qui impactent directement notre santé !
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Sources :
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- Huttenhower C. et al. 2012. Structure, function and diversity of the healthy human microbiome. Nature. 486:207–214.
- Karl J.P. et al. 2018. Effects of Psychological, Environmental and Physical Stressors on the Gut Microbiota. Front. Microbiol. 9:2013. doi: 10.3389/fmicb.2018.02013
- Li Q. et al. 2017. The gut microbiota and autism spectrum disorders. Frontiers in Cellular Neuroscience. 11:120. doi: 10.3389/fncel.2017.00120
- O’Mahony S.M. et al. 2014. Serotonin, tryptophan metabolism and the brain-gut microbiome axis. Behav. Brain Res. 277, 1-17.
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- The Human Microbiome Projet Consortium. 2012. Structure, function and diversity of the healthy human microbiome. Nature. 486, 207-214.