L’histoire de la vie sur Terre est étroitement liée aux changements environnementaux.
Attention, quant on parle de changements environnementaux, on ne parle pas uniquement du réchauffement climatique, qui fait régulièrement (à raison) les titres des journaux.
Les changements environnementaux font également référence à la modification de la répartition géographique des espèces, aux changements d’utilisation des terres (constructions urbaines, terres agricoles, forêts…), à l’appauvrissement des sols, à la perte de la biodiversité ou encore à la modification des systèmes hydrologiques…
Et tous ces phénomènes sont en évolution constante, et ce à de multiples échelles spatiales et temporelles
Et ils sont loin d’être négligeables !
Les changements climatiques observés et prévus pour le 21ème siècle, notamment le réchauffement de la planète, sont d’une ampleur comparable aux plus grands changements mondiaux survenus ces 65 millions d’années.
Or, les engagements mondiaux actuels pris par les différents gouvernements ne limiteront au mieux le réchauffement climatique qu’à 2,7-3,7°C, soit plus de 3 à 4 fois le réchauffement déjà ressenti. Et encore, seulement si les engagements pris sont respectés…
De plus, à ce jour, toutes les discussions et accords internationaux concernant le changement climatique ne sont axé.e.s que sur les conséquences socio-économiques directes des émissions de gaz à effet de serre…
Et ne prennent pas en compte la mutation des écosystèmes naturels dont les conséquences sur le bien-être humain sont pourtant énormes.
Petit décryptage.
Les « biens et services » de la nature
Le bien-être des sociétés humaines est étroitement lié à la capacité des écosystèmes, qu’ils soient naturels ou modifiés, à produire un large éventail de « biens et services ».
Ces services dits écosystémiques sont les bénéfices que les humains retirent des écosystèmes.
Par exemple, les « services d’approvisionnement » regroupent l’ensemble de la nourriture (agriculture, pêche, chasse, cueillette), des combustibles (bois pour le feu notamment) et matériaux (bois pour la construction des charpentes par exemple, mais aussi sable et graviers pour le béton…), ou encore des médicaments utilisés en santé humaine et animale. Rappelons que les plantes médicinales sont à la base de plus de 50% de tous les médicaments vendus sous ordonnance.
Les « services de régulation » concernent la régulation du climat, des inondations, la pollinisation ou une diminution du risque de pullulation de pathogènes pour l’agriculture et la santé humaine. Ce dernier service est d’autant plus assuré que la biodiversité locale est élevée. On comprend donc que la perte de biodiversité actuelle ne peut que profondément nuire à ces services de régulation, pourtant essentiel à la bonne survie de l’humanité.
La nature nous fournit également de nombreux « services immatériels« , qu’il s’agisse de beauté, de spiritualité, d’éducation ou de source d’inspiration pour la société humaine.
De la santé de ces écosystèmes dépend donc le bien-être humain, indéniablement. Mais aussi sa survie !
Et la biodiversité est le fondement de l’ensemble des services écosystémiques.
Figure : Biens et services issus des écosystèmes pour la santé
(Source : OMS, https://www.who.int/globalchange/ecosystems/fr/)
La redistribution des espèces
Des mouvements d’espèces…
Bien que les limites de l’aire de répartition géographique des espèces soient dynamiques et fluctuent dans le temps, le changement climatique pousse à une redistribution universelle de la vie sur Terre.
Pour les espèces marines et terrestres, la première réponse au changement climatique consiste souvent à migrer. En changeant de lieu de vie, ces espèces recherchent les conditions environnementales dans lesquelles elles peuvent se développer au mieux.
Globalement, les espèces terrestres de l’hémisphère nord tendent à migrer vers le Nord et à monter en altitude, où les températures sont plus adaptées à leurs besoins.
En mer, les espèces se déplacent vers des eaux plus froides, à des profondeurs plus grandes.
Cependant, ces migrations ne se font pas toutes à la même vitesse ou dans les mêmes proportions. Des espèces se retrouvent donc au contact d’autres espèces qu’elles n’avaient jamais croisées jusqu’à présent.
Les interactions clés entre les espèces sont donc souvent perturbées.
De nouvelles interactions se développent, menant à des modifications rapides du fonctionnement des écosystèmes. Modifications pouvant avoir des répercussions et conséquences possiblement importantes pour l’ensemble des espèces interagissant dans l’écosystème en question, humain compris.
… Aux conséquences agricoles importantes
Ces redistributions d’espèces ne sont donc pas sans conséquences pour l’être humain.
Elles sont notamment susceptibles d’entrainer des changements importants dans l’offre des produits alimentaires.
Par exemple, on estime qu’en moyenne 34% des terres forestières européennes, actuellement recouvertes d’arbres à bois précieux, tels que l’épinette de Norvège, ne conviendront que pour la végétation de chênes méditerranéens d’ici 2100. Ce qui réduira considérablement les retombées économiques pour les propriétaires forestiers et l’industrie du bois.
Bien sûr, inversement, certains déplacements d’espèces d’intérêt pour l’homme augmenteront leur abondance relative.
De plus, ces changements climatiques ont et auront également des effets indirects sur les chaines alimentaires, aggravant de fait les effets directs sur les cultures.
Par exemple, en Europe, les recherches prévoient notamment une modification importante de la répartition et de l’abondance des espèces de vertébrés qui contrôlent actuellement les ravageurs des cultures. Autrement dit, la réduction du nombre de vertébrés actuel va favoriser la prolifération des ravageurs (insectes en particulier) dans les champs, et rendre d’autant plus difficile leur contrôle…
Ces changements climatiques conduiront donc nécessairement à un déplacement géographique de nombre de productions agricoles, à l’image du café, dont les principales régions productrices devront se déplacer.
Évidemment, tout cela aura forcément (a déjà !) des impacts sur la disponibilité et la sécurité alimentaires dans nombre de pays, européens compris.
Et des impacts graves sur la santé humaine
Les changements dans la répartition et la virulence des agents pathogènes d’origine animale, qui représentent déjà 70% des infections émergentes, sont également susceptibles de nuire gravement à la santé humaine.
Les mouvements de moustiques notamment, en réponse au réchauffement planétaire, constituent une menace pour la santé dans de nombreux pays en raison de l’augmentation prévue du nombre de maladies connues et potentiellement nouvelles.
La maladie la plus répandue transmise par les moustiques, le paludisme, représente depuis longtemps un risque pour près de la moitié de la population mondiale. Plus de 200 millions de cas ont été enregistrés en 2014. Or, le paludisme devrait toucher de nouvelles zones géographiques avec la migration vers les pôles et en altitude du moustique vecteur, l’Anophèle.
Au Canada, et probablement en Europe, ce sont les changements climatiques qui ont permis aux populations de tiques de s’établir dans de nouvelles régions géographiques. Et ces tiques ont apporté avec elles la maladie de Lyme (et de nombreuses autres co-infections), à l’origine d’un problème de santé publique important… pour lequel on est encore loin d’avoir pris toute la mesure de l’ampleur.
Les conditions météorologiques extrêmes
Outre le réchauffement global, les changements climatiques se manifestent également sous la forme d’évènements météorologiques extrêmes.
Sécheresse, inondations, vagues de chaleur sont autant de phénomènes apparaissant comme de plus en plus fréquents. Et leurs impacts directs et indirects sur la santé humaine sont, là aussi, loin d’être négligeables.
Ainsi, la variabilité des températures est en soi reconnue comme un facteur de risque de décès lié à la chaleur.
L’association entre la proportion de journées chaudes sur l’année et les taux de mortalité est en effet robuste. Autrement dit, plus le nombre de journées chaudes augmente, plus la mortalité humaine augmente en même proportion.
La littérature épidémiologique fait également état de risques accrus de blessures, de maladies et de mortalité dus :
- à des phénomènes météorologiques extrêmes,
- au stress thermique,
- et à la violence liée à la chaleur,
- aux maladies respiratoires et cardio-vasculaires
- et aux maladies liées à la dégradation de la qualité de l’air.
Figure : Impacts directs et indirects des changements climatiques
(Source : Hime et al. 2018)
Un rapport de synthèse publié en 2009 estimait que le changement climatique était responsable de la perte de 5,5 millions d’années de vie rien qu’en 2000.
Le changement climatique constitue donc bien la plus grande menace pour la santé humaine au 21ème siècle.
De plus, et évidemment, nous ne sommes pas tous égaux face aux impacts des changements climatiques.
Les évènements liés au climat devraient avoir un impact majeur sur:
- les personnes à mobilité réduite (enfants, personnes âgées et personnes handicapées),
- ou ayant des problèmes de santé mentale préexistants,
- les communautés qui dépendent étroitement de l’environnement naturel pour leur subsistance,
- et les populations vivant des les zones les plus exposées au changement climatique, telles que les régions côtières.
Les personnes à faible revenu subissent également de manière disproportionnée les impacts les plus négatifs.
Et la santé mentale ?
Alors que la littérature médicale fait de plus en plus état des problèmes de santé physique liés aux changements climatiques, les impacts sur la santé mentale ont été moins pris en compte.
Pourtant, les spécialistes s’accordent de plus en plus à penser que de nombreux effets néfastes du changement climatique seront psychologiques. Et que ces effets sur la santé mentale seront généralisés, profonds et cumulatifs.
Des impacts nombreux…
Un grand nombre de problèmes de santé mentale liés au climat ont déjà été documentés à la suite de changements climatiques et environnementaux, qu’ils aient été ponctuels ou vécus à plus long terme :
- taux élevés d’anxiété et de troubles de l’humeur,
- réactions de stress aiguë et troubles de stress post-traumatique,
- fréquence accrue de violence et conflits,
- augmentation de la toxicomanie et de l’alcoolisme,
- fortes réactions émotionnelles telles que le désespoir, la peur, l’impuissance et les idées suicidaires,
- diminution du sens de soi et de l’identité suite à la « perte du lieu ».
Mais évidemment, ces problèmes n’affectent pas tout le monde dans les mêmes proportions.
… pour des publics très variés
A priori, selon les études, le changement climatique et les phénomènes météorologiques qui y sont liés affecteront principalement les personnes présentant déjà des vulnérabilités.
Par exemple, la plupart des conditions météorologiques défavorables – vagues de chaleur, inondations ou sécheresses – risquent d’aggraver le stress des personnes et des communautés touchées et d’aggraver les conditions de celles qui souffrent déjà de problèmes de santé mentale.
Et qui concernent majoritairement les enfants
A ce titre, les enfants et les jeunes ne sont pas épargnés.
Les quelques études portant spécifiquement sur les enfants montrent qu’ils sont particulièrement vulnérables à ces impacts.
Les fondements même de la santé mentale et physique des enfants sont menacés. Et cela par le spectre des effets profonds d’un changement climatique incontrôlé. A commencer par l’instabilité communautaire et mondiale, les migrations de masse et l’intensification des conflits qui en résulteront.
Évidemment, et encore une fois, tous ne seront pas également touchés.
Ceux qui vivent dans des zones géographiques les plus exposées aux impacts du changement climatique et / ou dont l’infrastructure est plus faible sont les plus vulnérables.
Les enfants des pays en développement (où vivent 85% des enfants) et les personnes défavorisées vivant dans les pays industrialisés seront les plus touchés.
Rappelons néanmoins que, même si toutes les populations ne sont et ne seront pas impactées dans les mêmes proportions, tout le monde le sera à plus long terme. Nous vivons dans un monde global, où un virus qui éclot en Chine finit par menacer tous les continents…
Nous sommes donc tous bien concernés par ces changements globaux, et ne pouvons plus regarder ailleurs…
Un autre drame – dessin de Silex Comics 16 avril 2019
Pour conclure
Le changement climatique étant un phénomène mondial en pleine évolution, caractérisé par des responsabilités diffuses et des problèmes complexes de justice sociale, la réponse aux menaces croissantes pour la santé et le bien-être humains représente clairement un défi sans précédent pour la santé publique.
Aucune responsabilité humaine n’est plus profonde que la charge de chaque génération de prendre soin de la génération qui la suit.
Selon les projections actuelles, les adultes d’aujourd’hui constituent peut-être la dernière génération en mesure de prendre les mesures urgentes nécessaires pour offrir un monde vivable aux enfants et aux générations futures.
Alors agissons à tous les niveaux.
Nous pouvons tous participer aux efforts mondiaux visant à réduire la menace du changement climatique en préconisant des politiques climatiques efficaces et opportunes à tous nos niveaux d’influence. Et agissons !
Et cela commence à la maison et dans nos communes !
Sources :
Bourque F. & Willox A.C. 2014. Climate change: the next challenge for public mental health? International Review of Psychiatry, 26(4):415-422.
Burke S. et al. 2018. The psychological effects of climate change on children. Current Psychiatry Reports, 20:35.
Ebi K.L. et al. 2017. Detecting and attributing health burdens to climate change [Commentary]. Environmental Health Perspectives. https://doi.org/10.1289/EHP1509.
Hime N. et al. 2018. Climate change, health and wellbeing: challenges and opportunities in NSW, Australia. Public Health Research & Practice, https://doi.org/10.17061/phrp2841824.
OMS. Biens et services issus des écosystèmes pour la santé. https://www.who.int/globalchange/ecosystems/fr/. Consulté le 3/10/19.
Pecl G.T. et al. 2017. Biodiversity redistribution under climate change : impacts on ecosystems and human well-being. Science, 31 :355(6332).